Marie-Lise Baron, designer de jets privés

« Le luxe, pour moi, c’est la rareté »

Designer réputée dans le monde très discret des jets privés de luxe, la Montréalaise Marie-Lise Baron compte une douzaine de ces bijoux volants dans son portfolio. Son leitmotiv : concilier avec grâce la fonctionnalité et l’élégance, avec un souci constant du détail. Entrevue avec celle qu’un collectif d’auteurs a récemment classée comme une « superstar de la vente du luxe ».

Comment êtes-vous devenue designer d’avions de luxe ?

Le design pour moi est une passion. À 26 ans, j’ai commencé à pratiquer à mon compte, j’ai eu mon premier contrat pour une grosse compagnie qui s’appelle Sebastian, de Los Angeles. De là, j’ai fait la maison du propriétaire, de la voisine. C’est comme ça que ma carrière a commencé. À un moment donné, je me suis dit : « Si les gens me trouvent si bonne, pourquoi ne pas viser le top ? » (Rires) Ça fait partie de mon caractère. Ç’a pris un an avant d’avoir un appel de Bombardier. J’ai travaillé pour eux pendant quelques années et quand mon contrat s’est terminé, les clients ont continué à me demander à l’externe, comme designer privée pour eux. Je suis devenue indépendante.

Quand on conçoit quelque chose de luxueux, est-ce que la notion de bon goût est importante ? Ou est-ce que ce luxe doit être ostentatoire ?

Je vais répondre aux besoins du client, qui a des goûts spécifiques. Je vais respecter ses goûts, mais il ne faut pas qu’en fin de compte, il vive mal dans son avion. C’est un espace restreint, le plus gros que j’ai fait est six pieds de haut sur huit pieds de large, c’est un tube. Quand on passe des heures dans un tel espace, il ne faut pas que la personne soit stressée à force de voir un paquet de matériaux différents. Pour moi, comme designer, il faut que ce soit chic et de bon goût.

Donc, vous prônez l’unité dans le design, sans trop de flafla ?

Il y en a qui en veulent. C’est à moi comme designer d’établir un équilibre. J’ai eu un client qui adorait les losanges, il y en avait partout dans son bureau, sur ses souliers. C’était fétiche. J’en ai mis partout dans son jet, mais on ne les voit presque pas, c’est tellement subtil. C’est fait pour être agréable pour les yeux. Ça, on l’a comme designer ou on ne l’a pas.

Quel est le matériau le plus populaire auprès de vos clients ?

Le placage de bois, c’est la première chose à choisir. Tout est pris en considération, à commencer par le son. Certains matériaux l’absorbent. Tout est calculé pour rendre le voyage agréable d’un point de vue sonore, de l’air, des odeurs, de la lumière. C’est une expérience. Plus on a de cuir, plus c’est bruyant. Moins il y a de tissu, plus le niveau sonore est élevé parce qu’il y a moins d’absorption de son. Les comptoirs sont en granit. C’est spécial, mais au lieu d’avoir un pouce et demi d’épais, c’est coupé à à peine un trente-deuxième ou moins. Plus c’est lourd, plus ça prend du carburant. C’est collé sur des panneaux alvéolaires avec beaucoup d’air dedans qui sont très résistants et légers.

Outre votre client aux losanges, quelle a été la demande la plus étonnante, celle qui vous a posé le plus grand défi ?

En fait, c’est une de mes fiertés. Ç’a été de créer un « Moon Gate » dans un avion, une entrée circulaire japonaise avec une porte coulissante. Je me suis gratté la tête longtemps. C’était magnifique, le client était super content, le boss disait que c’était le plus beau qu’il avait jamais vu.

Quand on fait du luxe, est-ce que ça doit se voir, justement, que c’est du luxe, que ç’a coûté cher ?

Oui, il y en a qui aiment que ça brille, qu’il y ait du diamant… Mais il y en a qui sont plus sobres. Le bling-bling, ce n’est pas synonyme de luxe. Le luxe, ça ne veut pas dire la même chose pour tout le monde. Le luxe, pour moi, c’est la rareté. Quand on tombe dans le vrai luxe, on dessine vraiment quelque chose à l’image du client.

Une autre œuvre dont vous êtes particulièrement fière ?

Un siège sur lequel on a travaillé très fort. Le client ne voulait pas qu’il soit standard. C’est ça, le luxe. Il n’y a pas de diamant, de fourrure. C’est quelque chose à son image. Il voulait que j’aille chercher les formes d’un siège de Porsche, il en avait une collection complète chez lui, c’était son plaisir.

Est-ce que tout est possible dans l’aménagement d’un jet privé ?

Il ne faut jamais dire que tout est possible, c’est la pire erreur à faire. Je peux dessiner, mais il faut que je travaille avec un ingénieur pour respecter les lois, par exemple pour les sièges d’avion. Dans un jet, c’est là qu’il y a le plus de contraintes de réglementation, de feu, de poids, de son, de sous. Si je ne peux pas, il faut que je propose une autre solution.

Vous avez fait le design d’une douzaine d’avions de luxe. Combien ç’a coûté, en moyenne ? Et quel est le maximum que vous avez vu investi là-dedans ?

Ça, c’est une question à laquelle il est très difficile de répondre. Ça dépend à quelle étape est rendu l’avion, ce qu’il y a à y faire. Est-ce que c’est une rénovation ou on part de zéro ? Ce n’est pas le même prix. Je ne me sentirais pas à l’aise de répondre d’une façon aussi tranchée. Je vais passer mon tour sur cette question ! (Rires)

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